Assis à ton bureau, tu relis des contrats à tête reposée - piques un peu du nez. Toute cette histoire dernièrement avec Ace Maxwell n'a eu de cesse de t'épuiser. T'as le mental fragilisé Cecil, et les émotions décuplées par un prisme instable et névrosé.
Tu aurais du l'achever, tu aurais du l'achever. Tu aurais du l'achever ! Ça te rend fou Cecil, ça te rend malade et exécrable. Et Blanche qui n'en fait qu'à sa tête.. Devoir prétendre apprécier son nouveau jouet est un exercice qui s'avère bien plus compliqué.

L'alarme sonne et tu sursautes, lèves la tête vers celle-ci. Tu regardes ensuite ton téléphone pour checker les caméras de surveillance de l'immeuble - constates que les gardes ont interpellé un individu cherchant à s'introduire chez vous. Tu sautes de ta chaise et attrapes ta veste pour te couvrir les épaules.

Il n'a suffit que de dix minutes pour qu'ils le montent à ton étage. Tu ouvres ta porte blindée et te figes en découvrant l'identité du suspect. Tu grimaces en reconnaissant le visage irritant (attirant) de Samael Moore.

— « Tiens donc. »

Tu fais clairement la gueule Cecil, sens tes rides se creuser quand il te provoque ouvertement. Tu fais signe aux gardes de le lâcher.

— « Allez-y. »

L'un deux enfile son poing américain et le chope par les cheveux pour le frapper au visage. Le corps de Samael tombe à tes pieds, le sang tâche le tapis du couloir et tu le regardes de haut.

— « C'est bizarre, je ne me souviens pas avoir fait appel à tes services. »

Le garde ayant porté le premier coup, barraqué, le chope par le col pour le relever (avec une facilité déconcertante) et pour lui asséner ainsi un deuxième, le faisant s'effondrer de nouveau.

— « Attendez ! Je crois que la mémoire me revient. J'ai déjà payé en avance n'est-ce pas ? »

Sourire à l'intention de tes sous-fifres, ils poussent donc Samael vers l'intérieur, sans pour autant le détacher.

— « Je compte sur vous pour rester derrière. »

Et quand tu fermes la porte de l'appartement, tu sais qu'ils montent désormais la garde. Tu louches sur le corps toujours à terre de Samael puis l'enjambes sans respect pour aller ranger les papiers trainant sur ton bureau.

Dos à lui, tu as le sourire des victorieux quand tu ranges tes papiers. Tu les glisses dans une pochette en plastique que tu places dans le tiroir de ton bureau, le fermant à clé au passage. Te retournes vers Samael ensuite, les deux mains posées au bord du meuble pour te tenir en équilibre. Tu le toises, ne pouvant cacher cette once de suffisance qui dégouline de ton visage tout entier quand tu le découvres à terre.

Sa verbe et ses provocations ne t'atteignent pas. Pas aujourd'hui ! Pas alors que la brebis galeuse est venue d'elle-même dans l'antre du loup. A t-il seulement conscience du sérieux de tes menaces la dernière fois ? Non, évidemment que non. Il te prend à la légère - ce genre d'individu tu les exècres. T'es une putain de blague pour eux. T'as rien de terrible. Et peux-tu seulement leur en vouloir quand ton arme la plus puissante n'est qu'un sourire indélébile.

Alors je t’ai manqué ?
— « Non. »

T’as pensé à moi ?
— « Oui. »

Tu te décolles du bureau pour aller dans la salle de bain, récupères de l'alcool à quatre-vingt dix degrés et des compresses. Tu reviens devant lui, toujours braqué contre le porte d'entrée. Plis les cuisses pour te mettre à croupis - face à l'inconfort tu tombes à genoux devant lui. Tu imbibes la compresse sans rien dire et la colles brusquement sur l'égratignure au niveau du bas de sa joue.

— « Ne bouge pas. »

Tu gardes le tissu pressé contre sa peau et sors un pansement blanc pour lui étaler sur la petite blessure.

— « Je suis directeur d'un hôpital, pas ton infirmier. Ça suffira. »

Tu ne comprends pas. Comment peut-il penser que tu ne ferais pas quelque chose qu'il a pourtant expressément demandé ? Ça t'exaspère, il n'est pas facile à cerner et chaque mot qui sort de sa bouche te donne l'impression d'une moquerie qui pourrait faire rire le monde entier sauf toi. Tu ne te laisseras pas humilier longtemps.

Tu plies la compresse imbibée d'alcool et passes ton doigt sur le pansement pour étaler le plis avec minutie. Concentré, sa question te force un mouvement de recul. Encore une fois, tu cherches à percevoir l'humour et la tentative de raillerie.

— « Tu te crois drôle ? »

Tu ne réponds pas pour autant. Recules pour aller mettre la compresse à la corbeille. Tu louches sur lui, toujours attaché et vulnérable devant la porte de chez toi. Tu avais raison la dernière fois... Il t'a fait quelque chose. Parce que oui - tu pensais à lui à des moments inattendus et inappropriés.

— « Et bien... Quelle sollicitude. »

Tu vas dans la cuisine (impeccable), ouvres quelques tiroirs au hasard avant d'en sortir un couteau de cuisine immaculé. Le même que tu as utilisé pour poignarder Ace. C'est fou comme il ne reste aucune trace... c'est fou oui.

Tu reviens vers lui, la démarche sombre et fermée. Tu le regardes de toute ta hauteur, écrasant son pied au passage.

— « Qu'est-ce que je t'avais promis si tu te rendais chez moi ? »

Tu ne souris plus. Ton vrai visage révélé à la lumière de l'abat-jour.

— « Tu es sûr de vouloir rester pour la nuit ? Je ne peux pas te garantir de ressortir demain matin. »

Tu serres le manche du couteau entre tes doigt jusqu'à t'en irriter la paume. Il ne te regarde plus, prends tes menaces à la légère. Est-ce que c'est toi le problème ? Est-ce que tu manques de crédibilité pour réellement lui faire peur ? Tu serais pourtant capable de le poignarder ici et maintenant. Tu te penches en en ayant l'intention, la pointe de la lame dirigée vers sa gorge, prête à lui transpercer la peau.

— « Tu viens chez moi pour me provoquer hein... Tu n'iras nulle-part tant que je ne t'aurais pas... »

Ton portable vibre dans la poche de ton pantalon. Tu es tellement stupéfait d'être interrompu dans un élan meurtrier et déraisonné que tu restes plusieurs secondes hébété, le couteau toujours menaçant. Tu déglutis et le poses lentement sur le parquet, sors ton téléphone pour décrocher.

— « Allo ? »

Tu ramasses prudemment l'arme et t'éloignes.

— « Comment ça tu es en bas ? »

Flottement.

— « Entendu. A tout de suite. »

Merde. Les papiers. Tu tournes la tête vers Samael, le tires de toutes tes forces sur le sol pour le trainer. Les liens qui l'entravent handicapent ses mouvements et les tiens aussi. Tu te racles la gorge sous l'effort et exiges d'une voix forte.

— « Lève-toi ! »

Tu le diriges (le traines à moitié) dans la chambre, ouvres le placard à vêtement et le jettes dedans. Essoufflé et désabusé par le ridicule de la situation, tu refuses que les personnes avec qui tu fais affaire puisse se faire des idées. Un Moore reste un Moore après tout ?
Tu pointes du doigt cet idiot-là.

— « Pas un bruit c'est clair ? »

Tu attrapes une de tes cravates suspendues pour la glisser entre ses lèvres, serrant le noeud dans ses cheveux pour le bâillonner et claques la porte du placard. Tu poses le couteau sur le lit et retournes dans le salon après avoir tout fermé derrière toi. Tu n'arrives pas à penser à autre chose, quand bien même tu ouvres à ton associé, que tu lui souris, que tu lui serres un verre, que tu lui tends les papiers et que tu l'observes les ranger dans sa mallette, que tu lui sers la main à lui déboiter les phalanges, que tu le raccompagnes à la porte, que tu te retrouves désormais seul. Merde.

Tu dois retourner le voir.
Parce qu'il est toujours là - dans un coin de la tête et dans le fond de ton placard.

L'absurde de la situation avait chassé tes démons. Une fois l'associé parti avec les documents, tu restes une minute à fixer le sol de l'appartement, l'esprit ailleurs. Ce sont les coups qui résonnent depuis la chambre qui t'interpellent, alors tu t'y précipites sans avoir réellement prévu quoi faire pour régler le problème. Tu constates que la chaise que tu avais mise contre la poignée bloque toujours la porte de la penderie. Il aura beau s'acharner dessus, il ne pourra pas l'ouvrir. Tu oublies le couteau sur les draps et libères l'accès.

— « Arrête immédiatement ce merdier ! »

Tu le détailles de haut, le bas de tes chemises se perdent dans ses cheveux. Il a l'air si vulnérable et la corde de ses liens s'est légèrement détendue. Tu ravales ta salive et te pinces la lèvre.

— « Je vais te détacher. »

C'est décidé sur un coup de tête.

— « Mais tu te tiens tranquille, d'accord ? »

Tu préfères demander pour avertir. Recules vers le lit pour ramasser le couteau, tu tombes à genoux et passes la lame entre ses poignets pour rompre la corde. Tes doigts glissent le long de ses joues pour lui ôter le bâillon - dégouté qu'il ait bavé sur ta cravate. Tu la jettes au sol un peu plus loin. Mais tu as toujours l'arme en main Cecil, et tu t'y accroches comme si ta vie en dépendait - et comme si la sienne n'en valait pas la peine.

Toi non plus tu n'arrives pas à te suivre toi-même. Encore une fois tu agis sous l'impulsion, ne t'accroches à aucune ligne directrice le concernant. Il a envahit ta tête, contrôle tes mains qui pourtant s'accrochent désespérément au manche du couteau écrasé dans la moquette. La corde à terre, ton coeur en vrac, tu te forces à détourner les yeux de son visage - la courbure parfaite de sa mâchoire revient trop facilement marquer ton esprit.

— « Comment ça qu'est-ce que j'ai ? »

Tu te mords la lèvre et recules la tête à mesure qu'il approche. Tu lâches le couteau lentement, sous les affres de sa dictature - te laisses chavirer comme un navire dans une tempête. Tu coules Cecil, tu coules, mais la pression redescend.

— « Si tu n'es pas là pour mes secrets, ni pour instrumentaliser ma perte... Pourquoi es-tu venu ici ? »

Tes joues s'empourprent d'une couleur rosée, la fièvre au front due à votre proximité. Tu fronces les sourcils. Si Blanche ne travaille plus au sunset, peut-être que Samael Moore pourrait devenir ton nouvel indic. Tu t'accroches à cette stratégie pour ne pas totalement le laisser te renverser.

— « Tu es chez moi. »

Ta voix tremble pour la première fois.

— « Je t'avais prévenu du risque que tu encourais et tu es venu quand même. »

Tes doigts ne résistent pas à la tentation de l'effleurer.

— « Tu ne me prends pas au sérieux. »

Et ça te blesse d'y penser.

Il y a une sorte d'intimité qui s'est installée entre vous, sûrement due à la proximité qu'impose ta penderie. Vous êtes semblables à deux enfants qui cachent leurs péchés sous des chemises propres et repassées, dans l'ombre du placard duquel tu n'as jamais osé sortir pour le moment. Quoiqu'il puisse advenir tu n'imagines pas une seule seconde que tu le referais en dehors.

Tu lâches progressivement le couteau, le pousses derrière vous dans le fond de la penderie pour te pencher un peu plus en avant. Ses doigts à tes mèches te font frissonner - il ose ! Il ose et ça te tue d'admettre que ça te plait.

— « Tu n'as pas peur ? »

C'est la première question qui te vient en tête. La réponse t'obsède, te consume. Tu as besoin de savoir s'il pourrait encaisser Samael, ou si comme les autres il prendra peur et finira par te laisser.

— « Tu es un sale menteur. Tout ce qui t'intéresse ... tout ce qui t'intéresse c'est l'héritage de Pheme Willis. Comme les autres, comme tous les vautours qui nous tournent autour. »

Dis-mon nom.
Tu voudrais l'insulter pour cet affront mais ça se bloque dans ta gorge. Tu écarquilles un peu plus les yeux, subjugué par la beauté immonde auquel il te soumet.

— « Samael. »

Susurré à l'orée de sa bouche tentatrice.

— « Non ! »

Tu lui assènes une gifle sèche et sévère, le repousses dans le fond de la penderie pour choper son cou et serrer, à cheval sur lui.

— « Ignoble petit profiteur ! Tu crois que je ne vois pas clair dans ton jeu de séduction ?! Tu crois que je suis naïf à ce point ?! »