Alors que tu enserres sa gorge, tu repenses à ses arguments, bien cachés sous une couche de folie. Malgré tout tu ne le crois pas quand il se défend, quand il assure qu'il n'est pas intéressé par Pheme ou par la chute potentielle des PIC. N'importe qui de censé, n'importe quel Moore chercherait à vous piéger, notamment parce que Pheme a eu la merveilleuse idée de s'allier aux Chili Gazpacho - si ça vous renforce ça vous rend surtout plus vulnérable.

Comme toi, en cet instant.
Tu prends des risques à lui montrer qui tu es, à te laisser aller aux élans mortels et maléfiques. Tu prends le risque de salir ta propre demeure sous le joug de ton chaotisme.

Alors tu appuies, encore et encore. Il se débat, encore et encore. Sa jambe se loge dans tes cotes, et le souffle coupé tu bascules vers l'arrière, te cognes le haut du crâne contre l'encadrement de la porte. Tu geins de douleur, un peu désorienté - cherches à te relever avant que ses mains ne viennent plaquer tes épaules contre la moquette.

— « POUSSE-TOI ! »

Tu cherches à te débattre l'instant de quelques secondes puis te figes quand il te hurle dessus. Il t'accuse de ne pas comprendre mais si la logique à laquelle tu te serais accroché s'étiole alors que te reste-t-il ?
Ce qu'il veut, présentement, ne résonne pas en toi.
Tu ne l'entends pas.

— « Pourquoi est-ce que tu fais parti d'un gang si pour toi le jeu des pouvoirs n'a aucun sens ?! »

L'argent, le pouvoir, la conquête.
Venus Ville est plus qu'une capitale, c'est un terrain qu'il faut avoir la patience de grignoter bout par bout.

— « Si tu écartes les cuisses ni pour l'argent ni pour les informations ni pour obtenir, alors POUR-QUOI ? »

Tu tends ta main vers le fond du placard, cherchant en t'étirant à saisir le manche du couteau.

— « Tu me dégoutes... Cette gratuité est un blasphème. »

Voilà la vérité - son reflet trop parfait est un appel ostentatoire à la débauche et à l'impudicité.

L'ATTENTION. Il le clame si fort que sur le coup ça t'impressionne. Tu enfonces un peu plus ta tête dans la moquette, fronces les sourcils, décontenancé. C'est tout ? C'est tout ce qu'il cherche ? Tout semble de nouveau logique et limpide dans ta tête. Tu recoupes les informations de votre dernière discussion. Il avait été clair depuis le début et tu n'avais pas écouté. Il crève que tu le regardes et tu avais cessé de le regarder.

— « Tu as mon attention là. »

Il serre tes épaules mais tu ne réagis pas.
Tu le regardes.
Il caresses tes bras mais tu ne réagis pas.
Tu le regardes.
Il entrelace ses doigts dans les tiens mais tu ne réagis pas.
Tu le regardes.

— « Tu me connais mal. Je ne sais pas ce que tu m'as fait mais je ne craquerai ni pour toi ni pour aucun homme à Venus Ville. »

Sa main libère la tienne et remonte épouser la courbure de ta gorge, enserre légèrement tes voies respiratoires sous ta pomme d'adam. Vos souffles mélangés... es-tu un vautour Cecil ? Tu ricanes, comme si la réponse était évidente depuis de longues années maintenant.

— « Tout ceux qui veulent le pouvoir doivent en être. On ne gagne pas en jouant honnêtement. »

Mais tu ne regrettes rien. Ni les crasses, ni les bassesses, ni les mensonges, ni les sacrifices. Ils étaient nécessaires pour en arriver jusque là, et tu les jetteras tous dans la machine pour permettre de continuer à la faire tourner.

— « Tu as mon attention. »

Tu répètes, pour qu'il l'est bien en tête.

— « Mais est-ce que tu la mérites vraiment ? Est-ce que tu es digne d'être au centre du monde Samael ? »

Il connait déjà la réponse, c'est celle que tous les infidèles lui ont ris au nez.

— « Non. T'es juste une pute comme les autres. En moins lucrative. »

Il y a dans l'obscurité de ton placard un monstre qui se tapie dans l'ombre. Tu te retrouves figé et frappé d'horreur face à son visage ignoble, à l'écoute de ses paroles décadentes - il est à l'image d'un ogre gourmand prêt à te dévorer vivant. Tu simules la mort imminente, les bras immobiles et le souffle inexistant, retiens ta respiration pour prétendre que tu as déjà perdu. Il pense avoir gagné... c'est toujours dans un sens que les batailles se renversent. Tu vas lui prouver.

— « Tu ne manques... pas d'air. »

Tu le défies d'un regard incandescent - la vie semble être revenue habiter tes traits, la blancheur s'est fait chasser par deux joues rosées. Sa voix torride à ton oreille fait monter la fièvre.

— « Je te veux oui... »

Déglutis.

— « Dans une cage ou dans un zoo, là où les animaux dans ton genre méritent d'exister. Si tu veux amuser la galerie... tu aurais du te convertir en bête de foire. »

Mais l'idée est encore là, plus forte. Elle résonne, tonne dans ton crâne comme un hurlement bestial. Tu secoues la tête en fermant les yeux, geins d'un effort vain sous la musique oppressante qui se joue dans ton esprit.

— « Arrête putain... Arrête. Je me sens... »

Mal, fou.
Fou de lui comme un camé.

— « C'est dangereux. »

Tu en es parfaitement conscient. Glisses ton genoux entre ses jambes, le remontes pour lui frapper l'estomac. Tu te jettes vers le couteau pour le tirer à toi, l'attaques dans le vide pour te défendre - le griffes et déchires son t-shirt. Ce n'est pas tant pour te protéger que pour sévèrement l'attaquer. Tu dois te débarrasser de lui car même quand tu fermes les yeux il reste gravé. Tu dois te débarrasser de lui pour qu'il cesse de te contaminer.

Tu ne penseras qu'à moi avait-il dit. Le sait-il seulement qu'avant aujourd'hui tu ne pensais déjà qu'à lui ?

Tu ne peux plus le supporter. Tu n'arrives plus à faire semblant, c'est une charge mentale trop lourde qu'il est désormais impossible d'éviter. C'est dans ta tête ! Tatoué à l'encre noire à l'intérieur de tes paupières. C'est dans ta tête ! Gravé aux ongles dans la pierre. Tu n'as aucune réponse à lui fournir quand il te demande ce qu'il te prend, seulement une volonté immuable quand il t'ordonne d'arrêter.

Les poignets bloqués au-dessus de ta tête, tu prétends encore être cet ange malmené par un démon vorace - mais ton jeu ne prend pas. Il ne convainc personne, pas même toi. Alors quand ses dents se referment fermement sur ton épaule, tu pousses un cri étouffé. Lâches le couteau qui se plante dans le parquet caché sous la moquette. Tu trembles légèrement sous la douleur lancinante, mais le choc a su te réveiller.

— « Tu m'as... tu m'as mordu ? »

Tu ne te débats plus. Restes stoïque et hébété, le rôle que tu t'étais promis de tenir a disparu. Tes lèvres se fendent et tu répètes, entrecoupé de gloussements névrosés.

— « Tu m'as mordu. »

Tu lui montres ton vrai visage, celui caché sous les sourires séraphins et les bonnes manières, celui que ta soeur a dessiné pour faire de toi le frère parfait, celui qu'ils attendent tous de toi. Non, le véritable Cecil se cache dans cette penderie, purement mauvais.

— « Alors c'est ça que tu veux ? Que je te mette la laisse comme un véritable cabot enragé ? Je vais te faire la peau Moore. T'as compris ? Je vais te faire la peau. »

Tu siffles menaçant mais ne censures pas pour autant le rictus malfaisant qui déforme tes pommettes.

— « Ouaf ouaf. Tu veux que je te regarde ? Aboie pour moi pour voir. Allez ! »

On t'a déjà mordu jadis ; et tu maudis encore ce Rottweiler mal dressé que tu as fait piquer quand tu étais enfant. Tu les crains désormais... obligé de prétendre à ta soeur une allergie pour la dissuader d'en adopter. Tu grimaces et enrages quand tu penches la tête sur ton épaule. Lentement passes du bout des doigts tremblants sur la trace des dents, dessines un trou laissé par une molaire. Tu vas le fumer.

Il te vole le couteau mais tu ne cherches pas à l'en empêcher. Le dos droit et le menton relevé, tu le toises de haut comme un prince et le jauges lui comme ton sujet.
Fais moins le fier quand la pointe de la lame vient racler ta gorge, menace ta glotte qui s'agite sous tes déglutitions.

— « Fais bien attention Samael, à la manière dont je te regarde. »

Tu veux qu'il se sente honteux et pêcheur - il n'y a que le dégout et le mépris qui lui sont réservés.

— « Lèche le sol clébard. »

Tu recules brusquement le corps pour échapper à la possible exécution de ses menaces. Tu t'accroches à l'idée vile qu'il n'oserait faire du mal à celui qui s'est proclamé comme son nouveau maitre.

— « Tu n'as pas besoin d'attention mais d'un bon dressage, si tu veux tout savoir. »

Tu tires sur tes chemises que tu sacrifies en pâtures pour lui jeter à la figure et choper une de tes ceintures. Le cuir entre les doigts, tu le fais claquer et sors du placard pour fermer brusquement la porte et l'enfermer à l'intérieur. Tu bloques avec ton dos et avertis d'une voix plus mielleuse.

— « Ok Samael. On va jouer à un petit jeu vu que tu es là. Pour recouvrer la liberté il faudra la mériter. »

Mais Blanche ne doit pas savoir à quoi vous vous perdez à jouer.

Tu te rends compte après coup que tu as bien fait d'agir de la sorte Cecil. Il t'aurait agressé - le vilain chien mérite d'être dressé. Tu t'échappes de la penderie pour bloquer la porte. Pendant que tu la maintiens du peu de force que tu as, tu encaisses ses poings et atteins le verrou pour le tourner. La pointe du couteau réussit à légèrement traverser la cloison et tu te jettes par terre vers l'avant.

Mortifié par le bruit et la panique qu'il arrive à te transmettre, tu te forces à dissocier pour ne plus l'entendre. Lentement tu récupères la chaise pour bloquer le dossier en dessous de la poignée pour le coincer au cas où le verrou sauterait. Entre deux cris tu arrives à placer.

— « Samaeeeel ... ? Calme-toi. Tu n'arriveras pas à réfléchir convenablement dans cet état. »

Tu t'assois sur le lit juste en face du placard et observes sagement la porte trembler sous les coups. Tu attends qu'il s'épuise Cecil, qu'il comprenne de lui-même que c'est vain.

— « Tu te fais du mal pour rien. »

Ta prévenance à son égard est à l'égal de ton mépris : salé. Tu inspires profondément et expires par le nez.

— « Plus tu résisteras et moins je te ferais confiance pour t'ouvrir. »

Tu n'oublies pas qu'il a encore le couteau avec lui. Merde. Il va falloir que tu sois inventif.

— « Tout ça c'est de ta faute Sam. Quand on est vilain on doit expier ses fautes. »

Tu dois te tenir prêt. Réfléchis activement à un moyen de le maîtriser. Peut-être attendre qu'il s'endorme ? Ou négocier, qui sait.

— « Donne-moi une seule bonne raison de te laisser repartir. »

Il s'acharne pendant de longues minutes. Tu restes là, assis sur le lit, à observer la porte trembler sous ses assauts. La main droite toujours accrochée à ta ceinture qui pend des draps et s'échoue sur la moquette, tu réfléchis de ton côté à un moyen de vous satisfaire tous les deux.

Tu prends déjà du plaisir à l'entendre tambouriner et désespérer. Son arrogance puante s'est volatilisée au gré de sa détresse et c'est une première victoire non négligeable.

— « Non. »

Si tu ne penses pas que sa famille saura chercher par ici (et c'est sa faute de ne pas les prévenir quand il se rend chez l'ennemi) - la tienne de famille (Blanche) ne tardera pas à rentrer avant la nuit et le trouvera plus vite que tu ne chercheras à le cacher. Garder Samael dans cet appartement est une mauvaise idée... cependant tu n'es pas obligé de lui concéder dès maintenant. Tu dois trouver un moyen d'ouvrir la porte sans risquer qu'il ne se retourne contre toi.

Tu te lèves brusquement et marches vers la porte de la penderie. Tu effleures le bois et demandes d'une voix douce.

— « Si je te laisse sortir, tu ne m'attaqueras pas n'est-ce pas ? »

Tu dois profiter du fait qu'il est vulnérable.

— « Fais glisser le couteau sous la porte. Je veux m'assurer que tu ne fasses pas de bétises inconsidérées avec une fois libéré. »

Mais s'il croit s'en sortir juste avec ça, il se trompe. Tu te montres implacable.

— « Et aboies. »

T'es à ça d'obtenir ce que tu veux... tu le sens capituler lentement, gratter contre la porte comme un petit chien dépendant. Tu restes debout à attendre la félicité mais rien n'arrive. A la place il se met à te hurler dessus et tu fronces les sourcils, sincèrement heurté par son manque de coopération. Inspires par le nez, expires par la bouche. Tu lui rétorques d'une voix sèche.

— « Très bien. Tu l'auras voulu. »

Tu recules de quelques pas.

— « Et n'oublie pas, c'est toi qui m'a forcé à le faire. Tu ne peux que réfléchir sur toi-même à partir de maintenant. J'arrêterai de te répondre. »

Tu tournes les talons pour sortir de la chambre, ignores ses appels et ses coups pour aller ouvrir le frigo. Soupires quand tu te serres un jus d'orange bien frais. Adossé contre le plan de travail, tu le sirotes tranquillement - dissociant ton esprit de la situation. Tu glisses ensuite vers la bibliothèque pour choisir un livre.

Deux heures plus tard.
Tu n'as pas prononcé un seul mot depuis. Assis sur ton lit, tu lis assidûment et patiemment le même bouquin. Surveilles d'un oeil la porte toujours bloquée par la chaise. Tu es confiant Cecil, s'il n'a pas fini par craquer - il n'en est pas très loin. Dans le silence complet, les geignements de douleur et de désespoir ont disparu. Tu n'es même pas certain qu'il ait compris que tu étais encore là (à veiller sur lui) ; quand ton téléphone se met à vibrer. Blanche a dit qu'elle rentrerait tard.
Et si c'est parfaitement tombé, tu ne supporte pas d'être mis à l'écart.